extrait du dîner à Emmaus de Rembrandt
Bible

L’enseignement de Jésus a été une « révolution » par rapport au Judaïsme ? ou y a-t-il autre chose ?

Par : pasteur Marc Pernot

extrait du dîner à Emmaus de Rembrandt

Question posée :

Bonjour Marc,

Je viens d’écouter en podcast une émission de 2019 de Répliques sur France Culture (Qui étaitJésus ?). Finkielkraut y recevait Armand Abécassis, qui venait de publier « Jésus avant le Christ » (que je n’ai pas lu) et le père Venard.
La discussion était en fait centrée sur le fait de savoir si l’enseignement de Jésus a été une « révolution » dans notre façon de voir l’homme/le monde/la religion.
Pour Armand Abécassis, clairement non. Pour lui, du sermon sur la montagne aux béatitudes, rien d’original par rapport aux enseignements des maîtres juifs contemporains. Même l’universalisme ne lui semble pas original. Pour le père Venard, la différence se fait surtout dans l’autorité du ton (pratiquer l’exorcisme en son nom…).
Bref, je suis à mon regret très ignorante de ces questions, mais me suis interrogée sur ce qui a fait que le christianisme a pu advenir (au lieu d’un autre courant du judaïsme apparemment très profus à l’époque).
De façon provocante, Abécassis soutient que Jésus se sentirait actuellement plus « chez lui » dans une synagogue que dans une église.
Les évangiles m’ont toujours paru très « révolutionnaires » justement, mais peut-être parce que je ne connais que faiblement les enseignements du judaïsme.
Je suis consciente que c’est une question très large, mais peut-être avez-vous quelques pistes de lecture…

Merci beaucoup ! Nos amitiés.

Réponse d’un pasteur :

Bonsoir

Je viens d’écouter cette émission qui est passionnante. Donc merci pour ce signalement et bravo de chercher ce genre de bons documents j’apprécie beaucoup Armand Abécassis, et l’école archéologique de Jérusalem est un lieu de grande excellence sur la Bible. Bien sûr chacun à une optique qui lui est très personnelle, avec derrière un parti pris assumé. Ce qui est bien.

Abécassis a bien entendu raison dans cette observation que les mots de Jésus peuvent être rapprochés de ceux d’autres rabbis de son époque. Et pour l’universalisme, bien entendu, l’idée que ce soit Paul qui ait inventé cette ouverture est répandue, mais fausse. Comme le dit Abécassis, le projet signifié par la figure d’Abraham comprend tout à fait cet universalisme, et même une bénédiction inconditionnelle donnée à Abraham et par lui à toutes les nations (Genèse 12) . Par définition, l’attente d’un Messie est celle de la réalisation de cette promesse fondatrice. Donc, quand on dit « Jésus Christ », on dit cela, que la réalisation de ce projet entre en œuvre avec cet homme, Jésus.

Ce que l’on pourrait ajouter, quand même, à ce que dit Abécassis ici, c’est que l’axe proposé par Jésus est radical et délibéré. C’est à dire que dans la Bible Hébraïque, il y a une grande diversité. On trouve de tout, pas seulement l’annonce de la grâce annoncée par Jésus (avec ses paroles) et en Jésus (par ses actes). Et si effectivement, la bénédiction inconditionnelle de Dieu est bien présente dans l’alliance avec Abraham, il y a en parallèle les menaces d’une bénédiction qui est annoncée comme dépendant de la conduite de l’humain dans le Deutéronome. Du coup, la peur de Dieu demeure, alors qu’en Christ, l’amour parfait de Dieu chasse toute crainte. Dans cette radicalité même, je pense que si, il y a quand même du neuf dans ce dont témoigne Jésus. Le pluralisme de la Bible hébraïque, et de ses interprétations dans le judaïsme est une grande richesse qui honore la transcendance de Dieu. Ce n’est pas un pluralisme total, il y a quand même le tronc commun de la foi en un Dieu unique (dans le judaïsme, car dans la Bible Hébraïque même cela ne fait pas consensus). Le Christianisme devrait donc avoir pour tronc commun celui d’un Dieu unique qui est amour inconditionnel. Cela ouvre ensuite, cela autorise alors un pluralisme qui va jusqu’à la personne individuelle, appelée à être personnellement prophète ou prophétesse, à sa place et à son niveau un Moïse ou une Moïsette.

Donc, oui, je pense que les paroles de Jésus dans l’Evangile sont extrêmement libérantes, fondatrices, et vraiment dignes de fonder une belle théologie et une belle philosophie de vie dessus.
Mais finalement, je ne pense pas que ce soit seulement sur ses paroles que Jésus soit « révolutionnaire ». Comme le disait Abécassis, dans ce registre, Jésus est un rabbi parmi les autres rabbis, comme le doux et libéral Hillel, par exemple. Pour beaucoup de premiers chrétiens Jésus est cela, un enseignant génial, le maître d’une école philosophique excellente. C’est déjà pas mal. Seulement, quand les disciples de Hillel ou de Socrate ont voulu transmettre l’enseignement de leur maître favori, ils ont compilé ses paroles. Quand les disciples de Jésus on voulu témoigner de leur conviction qu’il est bien le Christ, ils ont écrit des biographies de Jésus, émaillées de quelques paroles. C’est donc plus l’homme Jésus qui a fait « autorité » que ses paroles en elles même. C’est pourquoi je ne suis pas tellement d’accord avec ce que disait le bon père Venard. Le problème n’est pas tant que Jésus se présenterait comme Dieu dans ses paroles (je ne suis d’ailleurs pas certain du tout qu’il ait été jusque là, d’ailleurs). Ce qui est révolutionnaire, c’est l’effet qu’il produit sur la personne qu’il touche. C’est une libération, un souffle, un déploiement. C’est tellement communicatif, viral, que la foi suscitée par Jésus s’est développée de façon exponentielle dans l’empire romain. Je pense sincèrement que ce souffle de vie a un immense avenir, et ouvre un avenir pour l’humanité.

C’est amusant, car cette question que vous soulevez est précisément celle proposée par le lectionnaire catholique pour la prédication de dimanche prochain Marc 1:22 « Ils étaient bousculés par son enseignement, car il enseignait comme ayant une puissance, et non pas comme les scribes. » Je ne sais pas encore ce que je vais sortir là dessus ni comment. Seulement on remarque tout de suite que quand ce texte affirme cela, le texte ne dit pas ce qu’a raconté Jésus ce jour là. Le texte montre ainsi que la question n’est pas tant celle du contenu (génial par ailleurs, c’est vrai), mais qu’il les « bouscule », et qu’il parle avec puissance et liberté, une puissance et une liberté communicative qui vise à rendre la personne à elle même, la libérer et développer sa propre puissance d’agir d’une belle façon dans le monde. La question est donc, c’est vrai , de décortiquer, de ruminer cette approche proposée par Jésus, et ensuite de s’ouvrir à ce que cela peut induire comme choc, comme ouverture, comme puissance d’être en nous ?

Par ailleurs, on voit effectivement que Jésus est dans une synagogue. Le culte avait de grands points commun avec un culte protestant et avec l’office juif, avec la plus large part accordée à la lecture de la Bible et à une prédication. C’est vrai que Jésus aurait été sensible à la lecture de la Bible hébraïque à la synagogue, je suppose qu’il n’aurait pas été contre le fait que nous accordions une place centrale à son approche spirituelle et théologique à travers la lecture de l’Evangile.

Dieu vous bénit et vous accompagne.

par : Marc Pernot, pasteur à Genève

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