La Création d
Bible

Difficile pour moi de ne pas voir de la misogynie dans le récit d’Adam et Eve

Par : pasteur Marc Pernot

La Création d'Ève, 1509-1510, Michel-Ange, Vatican

Question posée :

Bonjour

J’ai une question. Je comprends qu’on peut toujours interpréter les textes d’une certaine façon.

Mais prenons l’exemple d’Adam et Eve. C’est difficile de ne pas voir de la misogynie, de la domination masculine. Il y a bien le mot dominer dans le texte. La femme a été créé en second pour que l’homme ne soit pas seul. Donc subalterne. Puis l’homme peut la dominer. En plus elle est tentée en premier. Sexe faible sujet à la tentation.
Tous les préjugés du point de vue masculin misogyne !
Enfin l’analyse freudienne est sans vrai fondement mais tout de même le serpent, ça paraît une métaphore assez basique du désir…telle que fantasmé par un homme ! L’opération ressemble à une escroquerie. On prend les préjugés de l’homme et ses fantasmes et on incrimine la femme.

Honnêtement je n’arrive pas y voir un récit civilisé. Ne gagnerait pas t on à dire que ça été rapporté des mythes de l’époque ? Mythes de populations particulièrement misogynes.

Connaissant votre culture et votre foi, je ne doute pas que vous trouverez une manière d’interpréter. Mais alors pourquoi laisser un texte qui s’interprète si facilement comme une justification de la domination masculine jusqu’à détourner beaucoup de femmes de la religion? Comment ne pas y voir un point de vue misogyne et masculin? Et qui a empoisonné la conception collective des femmes dans les religions monothéistes.

J’attends avec intérêt votre éclairage.

Réponse d’un pasteur :

Bonsoir Monsieur

Je ne chercherai pas à sauver ce texte de son travers machiste.

Pourtant cela peut se faire :

  • par exemple en notant que la femme est appelée « aide semblable à lui » : « aide » ( ezer) est un mot qui apparait 21 fois dans la Bible, à part ce passage de la Genèse, il est toujours un service rendu par Dieu. La femme est donc pour l’homme une aide comme si Dieu était face à face avec lui. Je dois reconnaître que ma femme est bien souvent cela pour moi). Quant à l’interdiction de croquer la pomme elle n’avait entendu parler de l’interdiction que par ouï dire, alors qu’Adam avait entendu Dieu le lui dire, il me semble bien plus coupable.
  • Autre solution très classique pour « sauver » ce texte de sa misogynie est d’en faire une lecture allégorique millénaire où l’homme comme la femme est à la fois Adam et Eve, qui ne sont pas des personnages mais deux dimensions de toute personne, Adam étant notre dimension animale (« adam » étant d’abord un nom commun signifiant « humain » = « tiré de l’humus » (Adamah en hébreu). Et Ève étant notre dimension vivante, animée, sensible, capable de décision (ève : raïah de raï la vie).

Mais malgré tout, je pense que le côté machiste résiste à ces interprétations (par ailleurs exactes et intéressantes), car il n’empêche que la première lecture me semble être clairement misogyne. Ces texte sont été écrit dans une culture patriarcale, et il convient de les lire en ayant conscience de cela afin d’en corriger le biais. Il faut se rappeler que les femmes n’ont eu le droit de vote en France qu’après la 2e guerre mondiale ! La Genèse a été écrite quelque chose comme 2500 avant…

Pourquoi garder un tel texte ? Parce qu’il est par ailleurs passionnant. Absolument passionnant, du point de vue théologique mais aussi pour les psychanalystes, les philosophes. C’est pourquoi il fait partie des grands mythes qui ont nourri notre culture, notre conscience, notre civilisation. Si nous faisions une « épuration » de tous les textes qui ne sont plus à la hauteur de ce qu’il y a d’heureux dans nos progrès, nous devrions éliminer bien des trésors de notre patrimoine. Resterait-il des œuvres d’Homère aussi ? En ce qui concerne la Bible, il y a des passages choquants, voire très choquants, certes. Mais c’est l’ensemble qui a été le lieux de 2000 à 3000 ans de questionnements, de commentaires et de débats et cela aussi est un trésor inestimable. Si on enlevait ce récit de la Genèse à cause de sa misogynie on ne pourrait plus comprendre Saint Augustin, ni donc les philosophes et les théologiens qui sont entrés en débat avec lui. Alors peut-être faut-il, comme cela a été longtemps fait de réserver la lecture de la Bible aux savants et de ne laisser au petit peuple que des extraits expurgés ? La Réforme a fait le pari d’apprendre à lire à toute personne afin de lui donner accès à l’ensemble des sources, en faisant confiance à son intelligence que Dieu n’avait qu’à éclairer de son Saint Esprit. C’était effectivement un pari assez risqué. Et à mon avis il s’est révélé être génial. Il est par contre important de donner deux ou trois conseils, en particulier celui de lire en premier l’évangile du Christ (annonçant un Dieu d’amour pour chaque personne à part égale, homme comme femme, même pécheur ou pécheresse), et ensuite de lire comme on veut à la lumière de cette clef. Et que si ça ne colle pas, de passer simplement…

Donc, oui, on peut dire que ce sont là des mythes anciens, dont il serait bon de se passer ? Il me semble plus puissant de les lire d’une façon critique, comme vous le faites, dénonçant ici la misogynie, ailleurs un comportement inacceptable du personnage d’Abraham, de Jacob, de David, plus loin telle parole de Paul… C’est bien plus puissant que d’écarter ces textes d’un revers de manche car ils ont façonné notre culture, faisant donc partie pour nous, qu’on le veuille ou non, des mythes fondateurs. Du coup, il est très puissant de travailler sur ces textes bibliques d’une façon intelligente en gardant le meilleur et en notant ce qui n’est pas correct. Su ce sujet particulier et important de la misogynie, c’est ce qu’on fait des théologiennes du XXe siècle, et maintenant des théologiennes du XXIe siècle avec « Une Bible des femmes » (Labor et Fides 2018).

Cela dit, dans ce contexte, il est admirable que dans ce livre de la Genèse a été intégré non pas un unique mais au moins deux récits de création de l’humain. Il y a le texte que vous citez, avec une place de la femme assez prévisible dans ce contexte d’écriture,mais encore un récit important, qui le précède, et qui met la femme et l’homme en exacte parité : « Dieu créa l’homme à son image, il le créa à l’image de Dieu, homme et femme il les créa. »
(Genèse 1:27) et plus loin : « Lorsque Dieu créa l’homme (Adam), il le fit à la ressemblance de Dieu : homme et la femme il les créa, il les bénit, et il les appela du nom d’homme (Adam), le jour où ils furent créés. » (Genèse 5:1-2)

Et ce sont ce genre de perles subversives qui ensemencèrent nos consciences, troublant les commentateurs, et préparant l’avenir. Un avenir trop long à venir, certes, mais sur lequel nous avons à travailler à notre tour.

Bravo encore de vous affronter à ces textes, tel Jacob combattant avec l’ange, ou avec Dieu lui-même, et sortant vainqueur.

Bien amicalement

par : Marc Pernot, pasteur à Genève

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