21 mai 2024

extrait cadré sur le regard de Jésus dans un tableau de Rembrandt
Bible

Actuellement je lis un extrait du 4e évangile chaque jours, et je me dis : Non, le jeune rabbi Jésus n’a pas pu s’exprimer comme ça !!!

Question posée :

Plus je lis le 4e évangile (actuellement un extrait chaque jour, d’où ma perplexité et mon…irritation !), plus je me demande s’il ne s’agirait pas d’une christologie à plusieurs voix, avec très peu de substrat originel. Une sorte de « délire » théologique certes très inspiré voire sublime mais sans socle sémantique avéré. Non, le jeune rabbi ‘Ieschoua n’a pas pu s’exprimer comme ça !!! (Pour la petite histoire, je précise qu’après ma Maîtrise de théologie dans ma jeunesse, je suis aujourd’hui un athée désintoxiqué donc heureux. Ce qui ne m’empêche pas de m’interroger.)
Merci de votre éclairage.

Réponse d’un pasteur :

Bravo pour cette question très intéressante.

Théologien, agnostique ou athée

C’est excellent, d’être un théologien désintoxiqué et toujours en recherche. Cela favorise à la fois l’authenticité et la profondeur. Mieux vaut être trop agnostique que pas assez (car ne pas être du tout agnostique reviendrait à avoir comme Dieu sa propre idée de Dieu). Athée ? Complètement Athée ? Cela reviendrait à mon avis un peu au même, ce serait être certain d’une chose dont il est vraiment difficile d’être certain. Mais que signifie ce mot « athée » c’est une source de malentendu : Jean dit que « quiconque aime est né de Dieu et connaît Dieu »: en ce sens qui pourrait être considéré comme « athée » ? Seule une personne n’ayant jamais eu le moindre acte désintéressé de toute sa vie, même par inadvertance ? Je comprends qu’une personen se déclare athée, mais ce mot n’a donc pas le même sens pour tout le monde et c’est une source de malentendu. A-religieux est plus fréquent, en tout cas au sens de ne pas fréquenter les groupes, les cultes et les rites d’une institution. Mais ces activités ne sont que la partie visible de l’iceberg de ce que l’on entend par « religion », l’essentiel étant de l’ordre d’un travail intérieur. Que certains réduisent à rien (ce qui me semble dommage pour eux, mais chacun vit sa vie).

Que sont les évangiles ?

C’est clair que les évangiles sont des prédications, et non des reportages sur Jésus. Chacun de ces textes a un auteur, je persiste à penser que c’est principalement une personne et non une école, tellement la touche des auteurs est personnelle. Cet auteur donne son témoignage en pensant à un certain public. C’est donc très personnel, même si le sujet est Jésus de Nazareth. C’est pourquoi le titre de ces évangiles n’est pas « Les authentiques paroles et gestes de Jésus », mais ces livres s’appellent « Selon Matthieu », « Selon Marc », « Selon Luc », et « Selon Jean ». Ce sont des témoignages, pas au sens d’un journal intime rédigé pour soi-même, mais des prédications rédigés dans le but de faire vivre à ses lecteurs quelque chose de ce que l’auteur a vécu d’essentiel avec Jésus.

C’est vrai que ce serait génial d’avoir les notes, prises sur le vif, par des témoins de Jésus en train de prêcher, le mot à mot de ces paroles sorties de sa bouche que l’on appelle en théologie les « ipsissima verba », les paroles exactissimes, prononcées historiquement par Jésus de Nazareth. Mais nous savons qu’énormément de chose entre humains passent par le « non verbal », par l’intonation, par le regard, par le contexte, l’ambiance, les circonstances d’énonciation de chaque parole : cela fait que même si nous avions exactement la parole précise d’origine nous ne saisirions probablement pas bien l’effet que cette parole a produit sur la personne à qui Jésus l’a adressée, ni l’effet sur les disciples autour, et sur la foule des curieux ou des opposants de Jésus.

Peut-être retrouverons nous dans dix ans ou dans mil ans une omoplate de chameau ou quelques tessons de poterie pourtant en araméen telle parabole de Jésus, connue ou inconnue, telle anecdote notée sur le vif par un disciples de Jésus pour l’envoyer à sa belle-mère, tel enseignement. Ça serait extrêmement touchant pour nous qui sommes attachés à la personne même de Jésus, l’homme qui a vécu historiquement il y a 2000 ans. Mais je ne pense pas que cela rendrait caduque les évangiles, ces quatre témoignages qui ont été sélectionnés à cause de leur grande efficacité pour transmettre effectivement quelque chose de très inspirant.

Pourquoi les évangiles sont géniaux pour nous ?

Parce que les évangiles que nous avons rendent l’effet que les prises de parole de Jésus ont eu par exemple sur l’homme Jean, le disciple de Jésus. Jean a été enthousiasmé et transformé par Jésus, et c’est cet effet dont il cherche à rendre compte, ou plutôt : qu’il cherche à faire vivre à ses lecteurs. Et c’est peut-être plus intéressant encore que les seules paroles exactes de Jésus, hors contexte.

D’ailleurs, si nous avions le mot à mot des principales paroles et des gestes de Jésus, ou si Jésus avait écrit son petit livre rouge à lui, le risque serait de sacraliser ces quelques phrases, alors que le fait d’avoir quatre témoignages avec leurs différences laissant sentir un certain degré de subjectivité (comme tout témoignage) : c’est inspirant et libérant. Rien que par cette forme, l’ensemble des 4 évangiles dit au lecteur : « Et toi : qu’est-ce que cela te dit ?  »

Mais de toute façon, nous n’avons pas le choix. Nous pouvons donc prendre, et c’est avec gratitude, ce que nous avons, et c’est loin d’être négligeable. C’est même enrichi de 2000 ans de débats mondiaux, d’œuvres d’arts, d’associations caritatives sans nombre… ce qui en fait un patrimoine incroyablement riche. Seulement, vous avez raison, il est utile de ne pas être dupe et de saisir ce que sont en réalité ces textes.

Qu’est-ce qui est historiquement plausible ?

Puisque l’Evangile selon Jean est donc… de Jean (et pas de Jésus) : Jean était certainement un théologien, un penseur instruit auprès de maîtres juifs et de philosophes stoïciens. Il maîtrise vraiment l’écriture pour rédiger un texte aussi construit, avec du style. Puisque ce texte parle de Jésus : un homme comme Jean rapportant ce qu’il rapporte a sans doute été formidablement intéressé par ce que Jésus disait et faisait. Cela avait certainement un sacré niveau ! Probablement pas toujours ni avec tout le monde, et certaines personnes ont pu ne pas être saisies par cet aspect de Jésus. Mais il me semble que si Jésus était un jeune enthousiaste autodidacte ayant passé le plus clair des journées de sa vie à faire de la charpente, Jean aurait quand même pu être enrichi par la personnalité de Jésus, mais il n’aurait pas pu être écrire comme il l’a fait sur la théologie et la philosophie de Jésus, à ce niveau. Jésus n’était d’ailleurs pas si jeune que cela : 30 ans (si l’on en croit la transmission orale) c’était à l’époque un homme mûr.

Dans cette prédication de Jean qu’est son évangile, il y a certainement des citations quasi littérales de paroles et d’actes de Jésus : celles qui ont particulièrement frappé Jean, et qu’il rapporte à sa façon. Parmi ces sources certainement authentiques, je mettrais en tout cas l’épisode de la libération de la femme adultère (Jean 8), car c’est tellement subversif et controversé dans ce contexte que l’auteur de ce geste ou de ce récit méritait une sérieuse condamnation à mort. C’est vrai que Jean a été un petit peu ennuyé à un moment de sa vie, mais plus par les Romains que par les Juifs, semble-t-il. Et Jésus, lui, s’est régulièrement fait ennuyer. Donc je classerais ce texte parmi les « ipsissima verba » plausibles. Par exemple.

Bonne lecture.
Et encore merci.

par : pasteur Marc Pernot

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10 Commentaires

  1. Lili dit :

    Merci de cet éclairage, les évangiles sont des prédications !! Moi qui me demande souvent à quel genre littéraire on pourrait les rattacher – une épopée ? Ils en ont quelques caractéristiques intéressantes – des bioi ? Comme il y en a beaucoup dans l’Antiquité, c’est aussi possible de les assimiler, on voit souvent cette analyse – des mythes ? dans son sens noble, cela m’irait aussi. Des apologies ? Dans le sens de l’Apologie de Socrate de Platon… sans être spécialiste de rien, encore moins des genres littéraires antiques, le genre de l’apologie ne semble pas incohérent. Mais l’idée de les rapprocher d’une prédication est intéressante, surtout en ce que cela éclaire en regard le sens de ce que c’est qu’une prédication : l’annonce d’un événement qui est toujours en cours. Ne me contredisez pas, s’il vous plaît, j’ai mis deux ans à écrire cette phrase 🙂 .
    Un article, assez riche sur cet aspect littéraire,
    https://www.erudit.org/fr/revues/ltp/2002-v58-n2-ltp378/000359ar/
    fait écho à votre propos sur ce produit de la rencontre de la littérature juive et grecque, c’est assez fascinant, je trouve, même si ‘essentiel, peut-être, reste : qu’en fait-on ?

    1. Marc Pernot dit :

      Grand merci,
      Votre réflexion sur la prédication est intéressante. Je ne risque pas de vous contredire sur votre très profonde et subtile définition de la prédication, car tout dépend du prédicateur et il est effectivement intéressant de se demander (au fil de la prédication ou après) : au fond, qu’est-ce que cette personne qui prêche cherche à faire en parlant comme elle le fait ? J’espère que la personne s’est posé la question avant de prêcher, et si possible dans la prière.

      Pour l’essentiel qui reste : « Qu’en fait-on ? » c’est effectivement la part du lecteur ou de l’auditeur, et c’est plus que tout à fait déterminant. Et cela rend vraiment humble le prédicateur, et devrait le rendre plus prudent, peut-être. Car à en discuter avec des personnes après coup : ce qu’elles « en ont fait » est assez surprenant, créatif, voire improbable… Ce qui leur appartient complètement, bien sûr.

  2. Marguerite dit :

    Oui, cher Marc, même si c’est difficile il ne faut pas hésiter à parler en vérité et à proposer aux personnes d’aller se faire leur propre opinion à partir d’information concernant Jean le disciple et Jean Le presbytre ou l’ancien. Ce type d’information doit être connu… Même si ensuite nous sommes libres d’aimer ou non les opinions de ces personnes dans l’Évangile…

  3. Jacques dit :

    C’est vrai aussi pour les synoptiques : Marc et Luc n’ont pas côtoyé Jésus.

    1. Michelle dit :

      Ils ne faisaient pas parti des 12 apôtres ? pourquoi l’évangile de Luc et de Marc ?comment peut on parler de quelqu’un que l’on n’a pas cotoyé ?

      1. Marc Pernot dit :

        Des témoins très anciens disent que Marc était un disciple de Pierre, lui-même apôtre très proche de Jésus. Certains disent que le jeune homme qui s’enfuit tout nu en s’échappant lors de l’arrestation de Jésus est Marc qui était alors jeune un des disciples proches de Jésus sur la fin de son ministère.
        Quant à Luc, il l’explique au début de son évangile : il s’est bien renseigné auprès des témoins directs. Il serait un médecin disciple de Paul. A cette époque il existait encore quantité de témoins directs de Jésus.

  4. Anne catherine dit :

    La motivation de luc devait être profonde alors. Loin d’un reportage événementiel ?

    1. Marc Pernot dit :

      Certainement, oui. C’est une motivation spirituelle profonde. C’est aussi le désir, peut-être de rattraper ce qu’il a manqué de justesse : concerti peu de temps après sa disparition il n’a pas la chance d’avoir pu être témoin direct de Jésus : ce qui nous aide, car nous non plus. Il y a aussi une compétence de Luc : il écrit dans une belle langue grecque.

  5. Michel dit :

    Bonjour
    Merci pour cet article.
    Voici ma recherche d' »athée fidèle ».
    Chaque matin, je revois par courriel le texte évangélique du jour. Il me faut trouver un livre qui recense chaque péricope pour une analyse purement exégétique, sans délayage spirituel ni blabla moralisateur que je ne supporte plus. Si possible oecuménique. J’insiste sur ce point : purement exégétique, seuls texte et contexte, sans délayage spirituel ni récupération ecclésiastique !!!

    1. Marc Pernot dit :

      Bonjour

      Personnellement, les discours moralistes et culpabilisateurs me donnent immédiatement des sentiments peu chrétiens. Cela me semble être un anti-évangile (transformant la « bonne nouvelle » (ce que veut dire le mot « évangile ») en « dernier avertissement » & « sérieuse menace »).

      Les commentaires bibliques de chez Labor et Fidès sont exégétiques verset par verset. Ils ne me donnent pas, eux, de sentiments enti-foi, mais je les trouves terriblement ennuyeux. Une sorte de tue l’amour. Mais c’est très personnel, on peut aimer cela et s’appuyer dessus.
      Plus légers et sérieux sont les notes en bas de page de la Bible d’étude NBS, qui ne proposent heureusement pas d’interprétation, ce qui ouvre le lecteur à sa propre recherche d’interprétation. Pour cela, il me semble que des gestes de bases assez simples peuvent être acquis : en particulier deux : 1) le texte biblique est un réservoir de bonnes questions que nous pouvons nous poser à nous-mêmes, pas une somme de réponses, 2) D’une façon ou d’une autre chaque personnage mis en scène nous parle d’une facette de chaque humain et donc de nous-mêmes (y compris Dieu, bien sûr). Pour cela, si vous trouvez intéressant tel ou tel commentaire d’une personne il est bon de chercher quel geste d’interprétation a permis à cet auteur de tirer cela du texte.

      Pour aller plus loin, si le texte vous passionne, il me semble utile d’acquérir quelques bases en hébreu biblique et en grec biblique, permettant ensuite de faire ses propres recherches dans l’analyse du temps des verbes, repérer les racines importantes, que les traductions ne mettent pas toujours en évidence, chercher le « champs sémantique » d’un mot ou d’une expression dans les textes bibliques…

      Bravo pour vos recherches.

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