Illustration créée par Chat GPT d'une personne sur un divan avec à la place du psychiatre un ordinateur et une IA.
Actualité - opinion

L’usage de l’Intelligence artificielle explose… et devient de plus en plus un coach de vie

L’IA comme thérapeute, comme confident, comme ami ?

Les usages de l’IA aujourd’hui

Un article de Marc Zao-Sanders sur HBR (Harvard Business Review) a attiré mon attention. Car il me semble à la fois passionnant sur la situation des hommes et des femmes en ces temps, et passionnant sur l’intelligence artificielle (IA) dont on parle tant comme étant un tournant dans l’histoire de l’humanité (rien de moins).

Je pensais que l’IA était majoritairement utilisée pour faire ses devoirs, écrire un rapport, dessiner ou chercher des informations. C’est vrai que c’est assez pratique, et même épatant. Un simple outil d’aide. Cette étude montre que le premier usage de l’IA depuis cette année est d’être coach de vie, psychologue, thérapeute, ou meilleur ami avec qui l’on peut parler en confiance et demander des conseils pour vivre, pour s’apaiser, pour avancer, pour s’aider à prendre des décisions.

Voici les données et leur évolution en une seule année :

Graphique tiré de la revue HBR et traduit en français - Article original : https://hbr.org/2025/04/how-people-are-really-using-gen-ai-in-2025

Cela ne concerne pas que quelques personnes, car l’usage de l’intelligence artificielle est devenu soudainement important : il a doublé en un an, avec 33 % de la population qui l’utilise régulièrement, et c’est même 77 % chez les personnes de 18 à 24 ans. Cet usage de l’intelligence artificielle comme aide à vivre devient un phénomène de société.

Je dirais que c’est tant mieux si des personnes peuvent être aidées, d’une façon ou d’une autre. Mais pourquoi est-ce ainsi aujourd’hui, et comment faire ?

Pourquoi L’IA comme thérapeute, comme confident, comme ami ?

Cela révèle un manque hyper important dans notre société. Si l’IA est utilisée pour cet usage, c’est qu’il y a une immense solitude des personnes, elles doivent manquer de personnes de confiance autour d’elles. Pas d’ami ? Pas de proche de confiance autour d’elles ? Plus de paroisse ? Plus de Dieu pour le prier et recevoir son aide ?

La solitude

C’est vrai que la solitude est grande, surtout chez les jeunes et les personnes âgées, mais aussi dans la tranche d’âge active, avec moins de personnes vivant en couple ou en famille, et avec des couples moins fiables, des parents et grands-parents qui sont parfois plus loin géographiquement et affectivement. Moins de personnes sont actives dans les associations et les églises. Et c’est ainsi que bien des personnes se retrouvent à devoir tout gérer toutes seules, avec peu de vrais contacts. Des liens qui se délitent et se raréfient, c’est le premier facteur, je pense.

La santé mentale

Le second facteur est que la santé mentale de la population n’est pas au meilleur de sa forme. Un jeune sur deux a connu un état dépressif, un jeune sur quatre a eu des pensées suicidaires. Cela fait au total tellement de souffrances qui pourraient être soulagées, de troubles qui pourraient être soignés.

Les prises en charge par les services publics sont-elles suffisantes ? Les dépistages dans les lieux d’étude ? Des lieux d’écoute bienveillants ? Nous savons qu’un bon médecin peut réellement aider les personnes, sans les enfermer dans un cycle de soins interminables. Y a-t-il assez de ces bons services, est-ce assez remboursé, assez disponible ?

Le positionnement des églises ?

La majorité des cas ne sont pas pathologiques. Et contre la solitude, la perte de sens, le désœuvrement, le sentiment d’être nul, qu’il n’y a rien à faire, que l’on ne s’en sortira pas… Les églises sont encore là un petit peu partout dans le monde, elles ont prouvé pouvoir aider bien des personnes à avancer. Avec une vie sociale d’assez bonne qualité, des lieuxde paix avec des rencontres permettant de prendre du recul et de la hauteur, de la profondeur, des lieux où l’on peut aussi être utile pour les autres. Avec des pasteurs ou des prêtres recevant les personnes qui le désirent pour une écoute bienveillante, sans jugement (j’y passe plusieurs heures par jour dans ma paroisse physique à Genève ou sur internet à travers ce site, ce qui n’a rien de « virtuel », avec une vraie personne qui s’adresse à un pasteur en chair et en os, et qui répond avec son cœur, sa pensée et sa foi).

Qu’avons-nous manqué ou mal fait pour que des personnes préfèrent, finalement, s’adresser à un algorithme pour se confier et demander des pistes pour avancer ?

À mon avis, les églises doivent se concentrer précisément sur cet esprit de service. On parlait à l’époque de salut. Aujourd’hui, cela se traduit par de la disponibilité et de l’aide spirituelle, existentielle, relationnelle. Une attitude d’écoute, mais pas seulement d’écoute, mais aussi de service. Sans jugement et donc sans ces moralismes ou dogmatismes qui laissent entendre qu’un chrétien devrait penser ceci, faire cela… ce qui est, de fait, un jugement et un rejet de l’autre.

Les avantages et inconvénients de l’IA comme confident, coach de vie, thérapeute

Elle est disponible, très, et presque gratuitement.

Elle est très aimable, voire mielleuse, un peu trop, et évidemment sans sincérité car un algorithme, en réalité, n’en a rien à faire de nos états d’âme, ne ressent aucune compassion. Il est simplement programmé pour répondre de façon à nous satisfaire. Alors c’est plaisant, mais il y a derrière un peu quand même une illusion (pour la personne) et une supercherie (de la part de ces services).  L’IA veut vous garder en ligne le plus possible, nous proposant encore et encore de poursuivre, avec une nouvelle question. Nous avons à la maison un robot qui balaye tout seul la maison. C’est un modèle de base, mais qui parle, il dit régulièrement, en coréen, « bonjour, j’espère que tu te portes bien » et assez souvent un amusant « je t’aime, maître », comme un esclave dans les temps anciens. Dans un sens, l’IA est programmée de cette façon, avec à peine plus de subtilité.

C’est un peu ennuyeux. Et c’est pourquoi il me semble préférable que l’aide de l’IA pour mieux se porter (tant mieux pour ces bénéfices) ne soit qu’une première approche, en urgence, avant d’entrer

L’intelligence artificielle bénéficie de l’aura du « je l’ai lu quelque part », ou « je l’ai vu à la télé ». C’est ainsi que 56 % de la population fait confiance à l’IA (c’est plus que pour la plupart des politiciens), et même 74 % des utilisateurs réguliers de l’IA lui font confiance. Or, l’internet est rempli de « fake news » (de désinformation) ; il vaut mieux avoir une attitude de méfiance a priori, tout au moins de prudence, que de confiance. Pour ce qui est de l’IA, c’est encore plus délicat. D’une part, l’IA s’appuie sur tout l’internet (pour le meilleur et pour le pire), mais en plus, la façon même dont marche l’intelligence artificielle la rend actuellement massivement sujette à ce que l’on appelle des « hallucinations », où la réponse est complètement n’importe quoi (cela représente plus de 30 % des réponses). Ce n’est pas très grave quand c’est une citation inventée ou une recette au chocolat inmangeable ; c’est plus ennuyeux quand cela touche à notre santé mentale ou à un diagnostic porté sur nous-mêmes ou sur un proche. Car l’IA n’écoute ni ne vérifie pas ce qu’elle produit, ses réponses lui viennent comme qui dirait machinalement. L’IA est géniale pour donner des idées, mais mieux vaut quand même y regarder de plus près et vérifier les sources, croiser les informations, voir d’où elles viennent… (par exemple avec Google).

Tant mieux si un peu de « conversation » avec une IA fait du bien, vraiment tant mieux. Peut-être, quand même, y a-t-il le risque d’y trouver une satisfaction trop facile dans laquelle nous risquerions de nous complaire. Une aide doit conduire à mieux se porter, certes, mais aussi à entrer d’une belle façon dans un avenir plus grand, en particulier avec la société humaine. Le risque d’avoir comme confident, presque comme ami, un algorithme est l’implosion relationnelle. Une IA sera toujours aussi mielleuse et encourageante, elle n’est jamais trop occupée, jamais elle-même triste ou en colère, toujours tellement prévisible que c’est plus facile, trop facile, et risque de nous déshabituer à la complexité (et la richesse) de rapports humains. À mon avis, il faudrait que l’IA ne soit qu’une première étape, ou en léger complément d’une recherche plus autonome assortie de relations avec de vraies personnes humaines.

Pour ce qui est de la confiance, il faudrait surtout ne rien confier de trop personnel à cette machine qui a une immense mémoire dont elle fait ensuite on ne sait quoi (pas même elle-même).

Il y a aussi un petit inconvénient à l’IA, c’est qu’en bavardant un moment avec elle, ce sont en réalité des ordinateurs surpuissants qui surchauffent, et participent au fait que les ours blancs transpirent et que nos glaciers fondent à vue d’œil.

Aller plus loin, avec la prière et la Bible

Je connais un confident à qui l’on peut tout dire, s’exposer en toute confiance, qui est d’une bienveillance sans faille : c’est la prière. J’allais dire que c’est Dieu, car il est totalement bienveillant et bienfaisant, mais quand on n’est pas en forme, il arrive que nous doutions de Dieu et pensions que nous prions dans le vide, ou face à nous-même. C’est pourquoi je préfère dire que nous avons comme confident, au moins, notre prière. Peut-être qu’après avoir utilisé une IA comme confident, ou en plus d’une IA, il serait bon d’essayer de prier. L’inconvénient est qu’il n’y a pas de réponse instantanée. Mais l’avantage est précisément qu’il n’y a pas de réponse instantanée, que le fruit de cet exercice qu’est la prière est plus profond : il est dans notre façon d’être qui est augmentée, de sorte que la réponse s’élaborera au fond de nous-même, tissant ce meilleur que l’on peut appeler Dieu, avec notre propre personnalité et les circonstances particulières. Une VRAIE réponse, notre réponse, pas celle des autres, ni celle d’une machine.

L’intelligence artificielle peut déjà initier à avoir une certaine introspection personnelle, et à mettre des mots sur ce que l’on trouve à l’intérieur de soi. Ensuite, c’est probablement mieux quand on se place devant une idée de Dieu que l’on s’est forgée personnellement mieux, car notre évolution ira dans un sens que nous avons choisi, nous. C’est déjà un « plus » de la prière. Mais en plus, cette puissance de vie qu e’lon appelle parfois Dieu apporte infiniment plus qu’une simple introspection. Nous sommes des milliards d’utilisateurs à en témoigner.

Je connais aussi un lieu qui permet d’avoir des idées, si ce n’est des réponses, c’est le texte biblique. Il est un réservoir de questionnement incroyablement riche, nous permettant de travailler sur nous-même, comme un miroir. C’est bien plus rugueux comme interface que le langage d’une IA, doucereux et cherchant à nous plaire. Le texte biblique est complexe, avec mille facettes, mille personnages nous interrogeant sur nous et notre vie. Cela nous fait aller bien plus loin, plus haut et plus profond.

Comem, lieu permettant de faire un pas de côté dans la course de sa vie, permettant de rendre quelques instants de paix dans l’espérance de quelque chose de nouveau et de grand, de se placer au milieu des humains : je connais le culte ou la messe, où chacun est libre de participer à son rythme. C’est pourquoi j’encourage sans cesse à aller à l’église près de chez soi, dès lors qu’elle est ouverte et bienveillante (n’imposant pas de dogme, de pratiques, de comportement). C’est aussi un lieu où l’on peut s’initier à ces gestes infiniment personnels et riches que sont 1) la société des humains, 2) la prière, 3) un questionnement personnel grâce à ce patrimoine puissant qu’est la Bible (+ la philosophie, la littérature, les arts, la nature). C’est enfin et surtout un lieu où l’on peut renouer avec son Dieu, ou en tout cas le chercher. Il est le secours qui surpasse tout. Franchement dit. Avec lui, aucune situation est sans espérance.

Dieu vous bénit et vous accompagne.

par : Marc Pernot pasteur et théologien sur JeChercheDieu.ch, théologien et titulaire d’un master en Intelligence Artificielle

PS. L’illustration ci-dessus a été crée par Chat-gpt (mil mercis à elle ou à lui), en quelques instants. Et comporte une hallucination : comment diable cette table peut-elle tenir à moitié à cheval sur le canapé ?

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Un commentaire

  1. Lili dit :

    Merci pour ce travail aussi fouillé.

    Une grosse différence entre une IA et un(e) véritable ami(e) : on ne rigole pas avec !! Alors que j’ai bien ri devant l’aspirateur coréen 😉 preuve – s’il en fallait une – que vous n’êtes pas une IA. Ou alors j’en suis une. Mais si ça se trouve, attendez, je réfléchis, là…

    Plus sérieusement, il y a aussi que nous vivons à l’heure du supersonique et non au pas des chevaux. L’attente, le délai, un psy dirait la frustration, sont devenus impossibles à supporter pour beaucoup de personnes. En fournissant une réponse quasi immédiate, l’IA, non seulement satisfait l’ego dans son beau miroir, vous le signalez, mais produit un critère du vrai, conjuguant instantanéité et vérité. En imitant si bien le mode intuitif, en surprenant sans prévenir, on peut tétaniser la pensée qui voit dans ces évidences des vérités dont elle ne peut plus se défaire. Ce qui est vu, entendu, répété, martelé, ce qui a 2 millions d’abonnés passe pour vrai car cela fascine nos représentations, revenant dans ces boucles qui enferment. Il y a quelque chose d’hypnotique. Que ces éléments soient vrais ou faux, cela ne change rien à la problématique qui est que l’évidence n’est plus produite par la pensée elle-même. Comme vous dites la vraie réponse est celle qui s’élabore au fond de nous-mêmes et cela prend du temps. Mais quand nos évidences nous viennent des autres, le danger est tout proche d’halluciner.

    Et avec ces IA, on n’est pas très loin du sens donné trivialement à une révélation comme d’un truc qui vous frappe : bing ! Vous avez une question ? bing ! Voici une réponse. Alors qu’avec Dieu, si on poursuit la comparaison, il semble que la révélation soit plus réfléchie – dans le sens de réfléchir le maximum d’éléments, de faire-sens, harmonie, écho. Cela ne semble intervenir qu’après un certain laps de temps – 40 ans dans un désert, des tribulations en veux-tu en voilà – comme un fruit qui mûrit et ne tombe pas du ciel tout d’un coup. Je crois même que errance et révélation marchent de paire, au moins en partie mais c’est peut-être parce que je n’ai pas tellement de sensibilité à cet endroit. Les tragédies grecques – Œdipe roi, Ajax ou Les Sept contre Thèbes – mettent en évidence ce délais erratique, mais je pense aussi à Job ou aux frères de Joseph, à Jérémie et à je ne sais plus quel disciple, Philippe je crois, qui demande à Jésus : « Allez va, montre nous le père, ça ira comme ça » parce que c’est un peu long cette révélation, alors si on pouvait résumer. Mais non, ça ne marche pas comme ça a priori.

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