
La théorie de la « souffrance rédemptrice » et la souffrance des femmes
Dans la suite de la prédication de vendredi dernier (Pourquoi Jésus a-t-il été crucifié ? Qu’est-ce que cela peut nous apporter ?), je croise des travaux des théologiennes Joanne Carlson Brown et Rebecca Parker “For God, so Loved the World?,” (pdf ici, en anglais) « Les femmes sont acculturées à accepter les abus. Nous en venons à croire que c’est notre rôle de souffrir… nous avons été convaincues que notre souffrance était justifiée. »
C’est bien intéressant. Nous n’avons pas à nous sentir coupable des errements passés, mais chaque génération est appelée à reprendre le patrimoine légué par les générations passées, pour en garder le meilleur avec gratitude, écarter le moins bon et repousser avec horreur le pire. Il n’y a pas de honte à faire cela. Au contraire. C’est une des grandes qualités de la foi chrétienne que d’être placée sous le signe de la grâce de Dieu : nous ne sommes plus tenus à aucun dogmatisme, aucun dogme n’est sacré ; pour dégager le cœur qui est l’amour de Dieu manifesté en Christ, amour qui nous inspire d’aimer. C’est un peu la même révolution qui a eu lieu avec l’écriture de la première page de la Genèse : le soleil et les planètes sont des créatures comme nous, ce ne sont pas des dieux, nous pouvons dès lors les étudier par la science. De même pour les dogmes, ils ne sont pas divins, seul Dieu est Dieu. Nous pouvons donc les étudier, les questionner, les travailler, les passer au creuset de l’Esprit pour en dégager le meilleur et ôter les scories et les venins qui s’y cachent.
Dans ce travail, un des grands apports du XXᵉ siècle à la théologie chrétienne est la théologie féministe. Un apport essentiel, bien entendu à croiser avec de multiples autres, venus d’autres approches. En particulier sur la question de penser la façon dont le Christ a apporté le salut à l’humanité et de la place de son sacrifice sur la croix. Des théologiennes ont montré que cela a pu avoir une influence déterminante sur la violence faite aux femmes, la justifiant en quelque sorte (même si ce n’est pas l’intention de base, évidemment). C’est un dommage induit, certes, mais immense et dévastateur.
Comme quoi, il est utile de faire de la théologie. Quand certains confondent laïcité et absence de théologie, cela laisse le champ libre à n’importe quoi. Les travers de toute religion (comme de tout ce qui est humain) ne nous encouragent pas à faire moins de théologie, mais à faire plus de théologie, libre et spirituelle, à nouveaux frais, à chaque génération. À toujours mieux faire de la théologie, en particulier grâce à l’apport des sciences.
Ce que relèvent ces théologiennes, c’est que la théologie chrétienne majoritaire a longtemps expliqué qu’il fallait absolument que Jésus souffre et meure sur la croix pour que l’humanité soit sauvée. Dans un sens, cette souffrance, ce sang, ces coups et ces larmes, cette mort seraient la volonté de Dieu. Cette théologie associe ainsi l’amour et la souffrance. Pâques deviendrait alors la fête de cette souffrance belle et bonne, la fête de ce Père qui sacrifie son Fils, la fête de ce Fils qui se soumet à cette volonté du Père. Pâques deviendrait la fête du sang versé, sang qui rachèterait les fautes, sang qui établit une association entre Dieu et nous.
Bien des hommes, mais surtout des femmes, en réalité, ont alors plus facilement accepté de souffrir, de se faire maltraiter, pensant que cela est normal, juste et bon de souffrir pour sauver ceux qu’elles aiment, que c’est la volonté de Dieu pour sauver leur homme, leur couple, leur entreprise, leur enfant, leur pays… et est donc lourdement tombé sur les épaules des femmes.
Et si Dieu a lui-même voulu la souffrance et la mort de son fils, les sévices corporels apparaissent alors comme justifiés. Les tyrans domestiques, les tyrans usant de peines cruelles sont légitimés pour « punir » des coupables ou en infliger à des personnes innocentes comme Jésus désignées comme devant se sacrifier.
Cette pensée que Dieu aurait voulu les souffrances et la mort de Jésus n’a aucun sens. Elle présente une théologie d’un Dieu tyrannique qui est étrangère à l’Évangile et même à la Bible hébraïque. Et cette pensée a pu avoir des effets terribles sur les violences faites aux femmes. Cet imaginaire est extrêmement puissant, puisque trop longtemps sacralisé comme étant le cœur même de la foi chrétienne, célébré dans la plus grande fête religieuse chaque année.
Or l’Évangile, et en particulier la mort de Jésus, montre tout le contraire : la violence et l’oppression, l’injustice tuent le Christ. Il tue le Christ dans l’humanité, il tue le Christ en nous-mêmes quand nous l’acceptons.
C’est vrai que, d’un autre côté, l’attitude de Jésus vis à vis de ses femmes disciples a beaucoup fait pour l’émancipation des femmes, par exemple quand il fait de Marie-Madeleine la championne de la résurrection, Jésus la nommant alors apôtre des apôtres mâles qui peinent à avancer. C’est vrai aussi qu’il n’y pas que dans la foi chrétienne que la souffrance des femmes a été ainsi comme « justifiée » de façon détournée, que le christianisme n’est peut-être pas le pire dans ce domaine, mais il est bon de balayer devant notre porte. Avec l’aide de Dieu. Et d’excellentes théologiennes « féministes » ou non.
par : pasteur Marc Pernot
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