Jean-Paul Sartre : une pièce de Noël très très chrétienne pour un athée
Prisonnier en Allemagne pendant la 2e guerre, Sartre a écrit une pièce de Noël ! Le but était à unir les athées et les chrétiens dans une communion qui va se révéler, semble-t-il inspirante, libérante, donnant de l’élan. L’effet de cette pièce de théâtre jouée en Noël 1940 fut à la fois spirituel et existentiel : s’en suivit un meilleur moral pour beaucoup, et une vague d’évasion importante.
Voici un premier extrait de « Bariona, ou le Fils du tonnerre ». Il faut s’imaginer ces hommes dans la boue, la promiscuité, la maladie, le froid, la famine. Comme une parabole pour nous de ce qui nous oppresse. L’humain déborde toujours de sa condition, il y a de la transcendance, il y a du souffle, ce souffle qu’on appelle l’Esprit en christianisme, et qui fait que nous en sommes pas seulement du sol comme un cailloux, ni ange, mais poussière du sol animée du souffle divin.
Tu n’es ni ange ni caillou, c’est pourquoi ton devoir est d’espérer.
BALTHAZAR : Tu souffres, Bariona. (Bariona hausse les épaules).
Tu souffres et pourtant ton devoir est d’espérer. Ton devoir d’homme. C’est pour toi que le Christ est descendu sur la terre. Pour toi plus que pour tout autre, car tu souffres plus que tout autre. L’Ange n’espère point car il jouit de sa joie et Dieu lui a, d’avance, tout donné et le caillou n’espère pas non plus, car il vit stupidement dans un présent perpétuel. Mais lorsque Dieu a façonné la nature de l’homme, il a fondé ensemble l’espoir et le souci. Car l’homme, vois-tu, est toujours beaucoup plus que ce qu’il est. Tu vois cet homme-ci, tout alourdi par sa chair, enraciné sur la place par ses deux grands pieds et tu dis, étendant la main pour le toucher : il est là. Et cela n’est pas vrai : où que soit un homme, Bariona, il est toujours ailleurs. Ailleurs, par delà les cimes violettes que tu vois d’ici, à Jérusalem ; à Rome, par-delà cette journée glacée, demain… Et tout cet avenir dont l’homme est pétri, toutes les cimes, tous les horizons violets, toutes ces villes merveilleuses qu’il hante sans jamais y avoir mis les pieds, c’est Espoir. C’est l’Espoir. Regarde les prisonniers qui sont devant toi, qui vivent dans la boue et le froid. Sais-tu ce que tu verrais si tu pouvais suivre leur âme ? Les collines et les doux méandres d’un fleuve et des vignes et le soleil du Sud, leurs vignes et le soleil. C’est là-bas qu’ils sont. Et les vignes dorées de septembre, pour un prisonnier transi et couvert de vermine, c’est l’Espoir. L’Espoir est le meilleur d’eux-mêmes. Et toi, tu veux les priver de leurs vignes et de leurs champs et de l’éclat des lointaines collines, tu veux ne leur laisser que la boue et les poux et les rutabagas, tu veux leur donner le présent effaré de la bête. Car c’est là ton désespoir : ruminer l’instant qui passe, regarder entre tes pieds d’un œil rancuneux et stupide, arracher ton âge de l’avenir et le renfermer en cercle autour du présent. Alors tu ne seras plus un homme, Bariona, tu ne seras plus qu’une pierre dure et noire sur la route. Sur la route passent les caravanes, mais la pierre reste seule et figée comme une borne dans son ressentiment.
Jean-Paul Sartre
Le second extrait que je vous propose est très spectaculaire, plus chrétien que chrétien, une façon de dire l' »être et le néant » avec la langue propre aux scènes populaires jouées depuis le moyen-âge : les mystères de la Nativité.
Marie et son enfant
« Vous avez le droit d’exiger qu’on vous montre la Crèche. La voici.
La Vierge est pâle et elle regarde l’enfant. Ce qu’il faudrait peindre sur son visage, c’est un émerveillement anxieux, qui n’apparut qu’une seule fois sur une figure humaine, car le Christ est son enfant, la chair de sa chair et le fruit de ses entrailles. Elle l’a porté neuf mois. Elle lui donna le sein et son lait deviendra le sang de Dieu. Elle le serre dans ses bras et elle dit : ‘mon petit’ !
Mais à d’autres moments, elle demeure toute interdite et elle pense : ‘Dieu est là’, et elle se sent prise d’une crainte religieuse pour ce Dieu muet, pour cet enfant, parce que toutes les mères sont ainsi arrêtées par moment, par ce fragment de leur chair qu’est leur enfant, et elles se sentent en exil devant cette vie neuve qu’on a faite avec leur vie et qu’habitent les pensées étrangères.
Et aucune femme n’a eu de la sorte son Dieu pour elle seule. Un Dieu tout petit qu’on peut prendre dans ses bras et couvrir de baisers, un Dieu tout chaud qui sourit et qui respire, un Dieu qu’on peut toucher et qui vit, et c’est dans ces moments-là que je peindrais Marie si j’étais peintre, et j’essayerais de rendre l’air de hardiesse tendre et de timidité avec lequel elle avance le doigt pour toucher la douce petite peau de cet enfant Dieu dont elle sent sur les genoux le poids tiède, et qui lui sourit. Et voilà pour Jésus et pour la Vierge Marie.
Et Joseph. Joseph ? Je ne le peindrais pas. Je ne montrerais qu’une ombre au fond de la grange et aux yeux brillants, car je ne sais que dire de Joseph. Et Joseph ne sait que dire de lui-même. Il adore et il est heureux d’adorer. »
Jean-Paul Sartre
N’hésitez pas à proposer un beau texte de foi qui vous aurait inspiré.
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