extrait d
Prédication

Quel est ce Dieu qui change Moïse au buisson ardent ?

Par : pasteure Sandrine Landeau

prédication à Genève le dimanche 1er août 2021
par la pasteure Sandrine Landeau
sur Exode 3 et 4

Nous voici, avec ce long récit de la rencontre au buisson ardent, devant l’un des récits fondateurs du peuple juif, et par-delà, avec l’un des récits fondateurs du christianisme, né du judaïsme. La rencontre entre Moïse et le Dieu qui se révèle au buisson ardent nous dit en effet qui est Dieu, ou plutôt, et la différence est fondamentale, qui est Dieu pour nous. Qui est Dieu dans l’absolu, nous n’y avons pas accès, et nous n’y aurons jamais accès, comme on ne sait jamais le tout d’un être quel qu’il soit. Mais nous avons accès à qui est Dieu pour nous, et à qui il a été pour d’autres avant nous, qui il est pour d’autres aujourd’hui, à travers les témoignages que nous recevons. Le témoignage dont nous avons hérité à propos de la rencontre au buisson ardent est fondamental à plusieurs titres, mais avant d’en évoquer quelques points, je voudrais rappeler une chose importante : les récits bibliques ne sont pas, ils n’ont pas vocation à être, des travaux historiques, ni des PV des paroles échangées il y a des milliers d’années. Par contre, ils sont des récits théologiques, des récits qui veulent dire quelque chose de ce Dieu qui est pour les humains, avec les humains, et de ce que cela change dans la vie des humains. Des récits construits avec un soin particulier, à une époque où écrire était tout une aventure, pour dire quelque chose d’infiniment précieux.

Pour ce qui concerne notre récit du jour, peu importe que Moïse soit un personnage historique ou non, qu’un buisson ait brûlé sans se consumer. Ce récit nous dit en images quelque chose de très profond sur notre Dieu et sur ce que sa présence peut changer dans nos vies. Puisque nos Eglises nous invitent, en ce jour de fête nationale, à nourrir nos aspirations de justices et d’égalité, je vous propose d’examiner ce texte en nous demandant ce que Dieu fait pour Moïse dans cette rencontre.

Pour cela, commençons par examiner qui est Moïse au début, et ce qu’il est en train de devenir à la fin du récit. Au début du récit, Moïse est berger pour son beau-père, Jethro. Lui qui est né du peuple hébreu esclavagisé, qui a été élevé à la cour de Pharaon, a dû prendre la route de l’exil après avoir tué un garde qui maltraitait un hébreu. Dans son errance, il a défendu des jeunes filles attaquées par des voyous alors qu’elles faisaient boire leur bétail, et il a fini par épouser l’une d’elles et par s’installer dans ce peuple étranger. Voilà donc un homme qui a fui son pays, un homme dispersé entre plusieurs cultures, dont les élans de justice ont été brisés par les circonstances. Comment, seul, faire bouger les choses ? Dans une situation ponctuelle comme celle qu’il a affrontée au puits, c’est possible. Mais dans une situation où l’oppression est systémique, comme en Egypte, ce n’est pas possible, et Moïse a renoncé.

A la fin du récit, Moïse s’apprête à repartir en Egypte, sans se cacher puisqu’il emmène sa femme, pour y délivrer son peuple, avec l’aide de son frère et des anciens des hébreux. Sans armée, mais inspiré de la force de conviction de Dieu et soutenu par sa présence. Il tremble certes – qui ne tremblerait pas – mais il a choisi de faire confiance à ce Dieu qui s’est manifesté à lui, et d’essayer, avec lui, de rendre meilleure la vie de ces hommes, de ces femmes, de ces enfants, maintenu.es en esclavage en Egypte. Bien sûr il y aura des difficultés, des zones d’ombres, Moïse le sait. Et il y va quand même ! Qui donc est ce Dieu que Moïse a rencontré et qui lui donne une telle force ?

D’abord un Dieu qui se propose, qui ne s’impose pas. Dieu se porte à la rencontre de Moïse, pas loin de son chemin, mais il ne se place pas en travers de son chemin pour l’obliger à une rencontre dont il ne voudrait pas. Si Moïse ne fait pas le détour, la rencontre n’aura pas lieu ce jour-là, à cet endroit-là. Ça ne veut pas dire qu’elle n’aura jamais lieu : d’autres propositions viendront. Et toujours, Moïse aura le choix.

Ainsi, Dieu est à la fois tout proche et tout autre : tout proche parce qu’il vient à la rencontre de Moïse. Tout autre, parce qu’il se place un peu à l’écart de ce chemin et se manifeste dans quelque chose de totalement inhabituel, quelque chose qui suscite l’interrogation, la curiosité – la curiosité n’est pas un vilain défaut, mais une grande qualité spirituelle – et l’envie d’approcher.

Tout proche parce qu’il parle à Moïse, il l’appelle par son nom, il le connaît déjà, même si Moïse lui ne le connaît pas. Il se présente comme le Dieu dont il a déjà entendu parler, par son père, et par les histoires de son peuple qui se rattachent à Abraham, Isaac et Jacob. Tout proche aussi parce qu’il l’invite à s’approcher, à se mettre pieds nus, ce qui est certes une marque de respect, mais aussi une marque d’intimité : quand on est pieds nus, on se rend vulnérable car on est moins apte à fuir rapidement.

Et en même temps tout-autre, parce que Dieu se manifeste comme une parole qu’on ne peut capturer, un feu qui brûle sans consumer mais qu’on ne peut toucher, un Dieu qui met une limite, dont on ne peut faire le tour. Un Dieu qui se rend présent mais qui refuse toute mainmise sur lui. Une présence libre qui rend libre. Une Trace en nous, de quelque chose qui vient de plus loin que nous, qui porte notre vie et la fonde, sans se laisser enfermer par ce que nous sommes.

Ensuite, Dieu se manifeste à Moïse comme celui qui est concerné par ce qui se passe pour les humains, qui se soucie de leur bien-être. Dieu s’adresse à Moïse en disant qu’il a vu et entendu les souffrances de son peuple. Ce n’est pas un Dieu indifférent, ni un Dieu à qui il est besoin de dire les malheurs du monde pour qu’il les connaisse : il est déjà au courant, et il en souffre. Et il cherche à agir pour améliorer cette situation, pour aller dans le sens d’une vie libre, pleine et entière. Pas une survie sous les coups du malheur. Il est présent au cœur de toutes les souffrances, que nous sentions sa présence ou non.

Il se manifeste encore comme un Dieu surprenant, à rebours des attentes humaines : un Dieu qui n’agit pas directement dans sa création, du moins pas de la façon dont les humains pourraient le souhaiter. Pas de baguette magique. Parce que la réalité est plus complexe que ce que nous pouvons en percevoir sans doute. Parce que même dans ceux que nous percevons comme des ennemis, Dieu voit autre chose et travaille à susciter l’amour qu’il espère. Et aussi parce que le Dieu créateur agit par la parole, par l’appel, par la surrection de l’être. C’est une immense puissance ! Ce n’est pas la toute-puissance dont nous rêvons parfois. Dieu ne balaye pas les méchants d’un coup, il parle à Moïse. Dieu agit dans le monde uniquement par les humains, par leurs mains et leurs voix, celle de Moïse, la vôtre, la mienne. Pour le Dieu biblique, parler et agir sont une seule et même chose, comme en hébreu c’est un seul et même mot : davar. Parole et acte. La Parole divine est puissante : elle suscite en Moïse un courage qui n’était que minuscule, comme une graine de montagne, et qui va grandir jusqu’à faire bouger des montagnes ! Un courage qui témoigne du Dieu dont il parle. Moïse demande : qui suis-je pour parler à Pharaon ? Dieu lui répond d’une certaine manière ; un être humain, comme lui, appelés tous deux à vivre, aimer, à faire grandir la vie et l’amour autour de nous.

Dieu se manifeste aussi comme celui qui s’appuie sur nos élans de vie pour les développer, leur faire porter du fruit, les porter à incandescence. De Moïse à ce stade du récit, nous savons qu’il a l’énergie et le courage de s’interposer quand il voit une situation injuste, sans penser à sa propre sécurité. Il a ce souci de la justice, de faire droit aux plus faibles. C’est indispensable. Il y faut pourtant plus, une orientation, une énergie continue, une visée plus haute. C’est ce que lui propose le Dieu qu’il rencontre au buisson ardent : un changement d’échelle à son indignation, une orientation nouvelle qui mène plus loin. Aller à la racine de la situation : à Pharaon qui détient le peuple en esclavage. Le chef de corvée n’est qu’un maillon. Utiliser cet élan de justice et de protection et devenir le gardien de son peuple, celui qui va en prendre soin dans le chemin vers la liberté.

Dieu se manifeste enfin comme un Dieu qui écoute les limites, les réticences, les peurs. Car le changement d’échelle qu’il propose est terrifiant pour Moïse. Il l’est pour n’importe qui. Bien sûr que Moïse a peur, et c’est normal. Au Dieu qui se manifeste à lui au buisson ardent, il peut dire sa peur, il peut dire ses limites. Tout simplement. Car on peut dire non à ce dieu-là. On peut être terrifié par ce qu’il propose et le lui dire. Le Dieu qui se manifeste au buisson ardent propose de renforcer ce qui peut l’être en soi, et aussi de ne pas travailler seul, de ne pas compter que sur soi. Moïse a peur tout seul, Moïse parle mal, qu’à cela ne tienne : il ne sera pas seul, un autre portera sa parole. J’aime ce Dieu qui propose des chemins de vie à travers le maquis de nos terreurs, des étiquettes que nous nous collons, de nos illusions, de notre propension à ne compter que sur nous-mêmes. Moïse ne sera pas seul ; Aaron le secondera. Et Dieu sera avec lui. C’est ce qu’il promet. Il est avec lui. Il sera avec lui. Il a été avec lui. Je serai qui je serai. Ou je suis qui je suis. Dieu est fiable : il est celui sur lequel on peut compter, sur lequel on peut s’appuyer, parce qu’il est libre et ne se laisse enfermer dans aucune représentation, aucune étiquette et qu’il est la source de l’être.

Nous sommes tous et toutes un peu Moïse, appelés par Dieu à offrir au monde le meilleur de nous-mêmes, nos élans de vie, nos élans vers plus de justice et d’amour. Pour cela, Dieu nous appelles à le laisser renforcer ce qui doit l’être en nous, et à nous associer à d’autres car ensemble nous pouvons bien plus que seul.es ! Dieu est avec nous, et il nous offre d’autres compagnons et compagnes de route, comme il a offert Aaron à Moïse. Dieu nous appelle à être ses témoins, ses mains, ses porte-paroles. Repondrons-nous : nous voici ?

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