18 décembre 2024

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Notion Théologie

Théisme : les cinq sens d’un concept complexe

Comme théologie, théisme est un terme formé à partir de theos (le mot grec qu’on traduit par Dieu). Si on définit l’athéisme comme la négation de Dieu, le théisme en est le contraire ; il désigne l’affirmation de Dieu. En fait, il s’agit d’un mot qui provoque beaucoup de confusions et de malentendus, car on lui donne des sens très différents. J’indique les cinq principaux.

A. Sens classique

Au dix-huitième siècle, on appelle « théisme » une religion raisonnable et naturelle, qui implique un lien personnel et vivant avec la divinité, qui comporte une forme de culte et de prière, qui se manifeste par des sentiments religieux.

On distingue le « théisme » du christianisme, parce que le théisme n’admet pas une révélation surnaturelle et exclusive. Il ne veut pas accorder un privilège à la Bible. Dieu se manifeste de diverses manières, principalement dans l’âme et dans la nature. Certains théistes sont très sévères pour l’idée d’une révélation scripturaire qui, selon eux, corrompt la révélation, et entraîne toutes sortes de malheurs (intolérance, dogmatisme, etc.). D’autres discernent dans la Bible une révélation à côté et parmi d’autres.

On distingue également le théisme du déisme. Le déisme est une opinion, ou une théorie purement intellectuelle, qui affirme qu’à l’origine du monde se trouve un être suprême qui l’a créé et qui lui donne des lois. « Pour le déisme, écrit Henri Arvon, « Dieu est l’horloger qui a composé et mis en marche le mouvement de l’univers, mais il n’exerce plus aucune influence sur son œuvre qui a acquis une entière autonomie ». Le déisme n’entraîne aucune religiosité. Il correspond à une conception purement objective de Dieu, sans élément existentiel. Voltaire représente assez bien le déisme (il estime le monde inexplicable sans Dieu, mais il ne cultive aucune piété), alors que Rousseau donne un assez bon exemple de théisme (il prie, il médite, il adore Dieu, il a des sentiments religieux). Comme l’écrit Kant, « le déisme croit en un Dieu, mais le théiste en un Dieu vivant ».

B. Le sens philosophique

En philosophie, très souvent « théisme » désigne une certaine manière, parmi d’autres possibles, de concevoir les relations de Dieu avec le monde. En ce sens, le théisme s’oppose au polythéisme, au panthéisme et au panenthéisme.

1. Polythéisme

Le polythéisme admet l’existence de plusieurs dieux, alors que pour le théisme il y a un seul dieu. On peut représenter le polythéisme par le schéma suivant :

2. Panthéisme

Le panthéisme pense que Dieu est présent en toutes choses, qu’il est, en quelque sorte l’âme du monde, et que le monde est son corps, voire que Dieu se confond avec l’univers. On peut représenter le panthéisme par le schéma suivant :

Le panthéisme souligne la présence et l’incarnation de Dieu dans le monde. Par contre, il supprime son altérité. Il aboutit donc à poser une autonomie du monde, qui ne se réfère à rien qui lui soit extérieur et ne dépend de rien d’autre que de lui-même. Finalement, il rend inutile de parler de Dieu ; il suffit de dire « l’Univers », la « Nature » (Deus sive natura selon une formule de Spinoza) ou la « Réalité ». On a parfois de la peine à le distinguer de l’athéisme.

3. Panenthéisme

Le panenthéisme pense que tout s’enracine en Dieu et que Dieu agit en toutes choses. Panenthéisme vient de trois mots grecs pan (tout), theos (Dieu), en (en). Pour le panenthéisme, il y a à la fois extériorité et intériorité entre Dieu et le monde. Dieu est en tout, tout est en Dieu sans qu’il y ait confusion. De même, la plante est dans la terre, et la terre entre dans la plante en la nourrissant sans qu’il y ait identification de l’une et de l’autre. On peut l’illustrer par le schéma suivant :

Chez les théologiens du Process, le panenthéisme est parfois appelé « néothéisme » (cf. § 5).

4. Le théisme

Le théisme voit en Dieu une personne qui a en face d’elle des choses et des êtres. Le schéma suivant le figure :

Comme l’écrit André Malet : « Le théisme affirme la distinction de Dieu et du monde en faisant du premier une personne et en accordant au second la substantialité, qui devient dans le cas de l’homme la personnalité. »

De même Paul Tillich définit ainsi le théisme : « Le Dieu du théisme théologique est un être à côté des autres, et comme tel une partie de l’ensemble de la réalité. On le considère certes comme la partie la plus importante, mais néanmoins comme une partie soumise à la structure de la totalité… On le considère comme un « soi qui a un monde, comme un « je » en rapport avec un « tu », comme une cause séparée de ses effets, comme possédant un espace… et un temps… » »

Le néothéisme (voir § 5) critique vivement ce théisme. Il lui reproche de proposer une conception de Dieu qui n’est ni vraisemblable philosophiquement ni conforme à la Bible et qui serait en partie responsable du développement de l’athéisme.

C. Le sens luthérien

Chez les théologiens de tendance luthérienne, « théisme » caractérise tout discours sur Dieu qui lit l’être de Dieu et qui discerne son action ailleurs que dans la Croix, autre part que dans le Christ crucifié.

Selon Luther la croix, et la croix seule, révèle qui est, ce qu’est, ce que fait Dieu. Il oppose la « théologie de la croix« , la sienne, à ce qu’il nomme une « théologie de la gloire » qui parle de Dieu en dehors de la Croix, en le qualifiant, par exemple, d’infini, d’omnipotent, d’omniscient, etc. Pour les luthériens, Dieu ne se limite certes pas à la Croix, mais nous ne savons de Dieu que ce que la crucifixion nous en révèle. Ainsi, certains luthériens considèrent la théologie de Calvin comme un théisme, parce que pour Calvin, Dieu révèle son être également dans la création, dans la providence, dans la nature et dans l’histoire.

D. Le sens néo-calviniste

Les néocalvinistes appellent « théisme » une théorie qui affirme qu’il n’y a nulle contradiction ou incompatibilité entre la toute-puissance de Dieu et la liberté humaine. Dieu a une puissance telle qu’il nous fait faire librement ce qu’il veut que nous fassions. Les néocalvinistes l’opposent au déisme qui désigne, chez eux, toute pensée qui oppose, et met en concurrence la puissance de Dieu et la liberté humaine.

E. Le néo-théisme

Nous avons signalé que les théologiens du Process appellent le panenthéisme « néothéisme ». Au théisme classique, ils opposent cinq objections :

1. La transcendance et la présence

Pour le théisme classique, Dieu réside ailleurs, en dehors du monde. Il est transcendant. À cette conception, on reproche de n’être pas biblique. Le Dieu de la Bible n’habite pas dans une sorte d’Olympe métaphysique ; il se trouve au milieu de nous. Au Dieu lointain s’oppose le Dieu proche de la Bible.

2. L’éternité et le mouvement

Selon le théisme classique, Dieu est intemporel et immuable. Au contraire, le dynamisme et l’espérance caractérisent le Dieu biblique. Il y a donc bien une histoire de Dieu, et pas seulement une histoire humaine.

3. L’impassibilité face à la souffrance

Le théisme classique soutient l’impassibilité de Dieu : il ne peut pas souffrir. Le néo-théisme, au contraire, parle du Dieu humilié, crucifié et vulnérable, dont l’amour est affecté par ce qui se passe dans le monde.

4. La toute-puissance en question

Le théisme classique affirme un pouvoir absolu de Dieu sur l’univers. Cette thèse se heurte à la question de la responsabilité de Dieu face au mal et à la liberté humaine. Les théologiens soutiennent que le Dieu de la Bible agit par persuasion plutôt que par contrainte.

5. L’ordre du monde contre le changement

Pour le théisme classique, Dieu garantit l’ordre établi. Or le Dieu biblique proclame : « je fais toutes choses nouvelles ». Il est le Dieu du mouvement et de la transformation.


Auteur : Professeur André Gounelle
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Notes :

* L’athéisme, Que sais-je?, p.36.

* Œuvres, la Pléiade, tome 1, p. 1238-1240.

* Le traité théologico-politique de Spinoza et la pensée biblique, p. 74

* The Courage to Be, p.184-185 (t.p.180).

* Jean 5, 17.

* 1, v.4 et 8.

* Matth. 10, v.29

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