21 septembre 2020

un enfant écroulé dans la neige, brandissant un drapeau blanc - Photo by Jackson Simmer on Unsplash
Ethique

Souvent, j’aide quelqu’un un certain temps, puis quand j’arrête cela lui fait du mal, dois-je persévérer malgré tout ?

Par : pasteur Marc Pernot

un enfant écroulé dans la neige, brandissant un drapeau blanc - Photo by Jackson Simmer on Unsplash

Être épuisé et dire stop ? Avoir essayé d’aider un peu et culpabiliser ?

Question posée :

Cher pasteur,
Je suis dans une situation difficile, car je répète toujours la même erreur. Je m’explique : je suis très gentil avec des personnes qui ne vont pas bien (pour différentes raisons) et à la fin, je finis par laisser tomber ces personnes car je suis épuisé de les aider.
Je commets cette erreur depuis mon enfance. Enfant déjà, j’essayais d’aider un gamin qui avait de graves problèmes familiaux. Ou des enfants ayant un handicap, qu’il y avait dans mon école primaire.
Et enfant déjà, je finissais par me lasser d’eux, par être exaspéré, agacé, jusqu’à éprouver de la haine même… et à les abandonner.
C’était comme si je choisissais une cible, une cible à aider et qu’ensuite, je l’abandonnais. C’est arrivé plus d’une dizaine de fois dans ma vie, et ça s’est toujours (ou presque) très mal terminé.
C’est affreux, je le sais bien.
En ce moment, c’est un homme qui souffre de problèmes psychiques. Quelqu’un de très gentil mais de dépressif.
Je commence à ne plus supporter cette personne, mais que faire ? vais-je l’abandonner comme les autres ? C’est odieux, j’en ai bien conscience.
J’ai été très gentil avec lui… si je « romps » avec cette personne subitement, cela ne pourra que faire des dégâts. Pourtant, je n’ai plus rien à lui apporter puisque je n’éprouve plus de bienveillance à son égard. Que faut-il faire ? dois-je persévérer malgré tout ?
Je ne sais pas si je dois prendre mes distances avec cette personne… si oui, comment ? et surtout, comment ne plus reproduire la même erreur ?

Merci d’avance pour votre réponse.

Réponse d’un pasteur :

Bonsoir Michel

Bravo pour cette sincérité.
Bravo pour l’esprit de service.

Votre question est très profonde, et je vois tout à fait de quoi vous parlez. Pourtant la réponse est un peu complexe, parce que les forces en jeux sont assez étranges, je dirais.

J’ai découvert que l’homme a tendance à en vouloir à celui qui l’a aidé. C’est très fréquent, presque universel, mettons dans 90% des cas. Je l’ai découvert quand je travaillais encore dans l’administration et que j’étais déjà bénévole dans l’église. J’avais acheté sur mes sous un ancien minibus pour emmener les jeunes et porter de l’entraide pour les pauvres d’une paroisse en Roumanie. Il était assez visible dans le parking de mon travail avec ses énormes plaques jaunes « transport d’enfants », et peu à peu, de nombreux collègues se sont mis à me demander de leur donner un coup de main pour déménager. C’est assez rude, en plus de devoir prendre mon petit bus dont je devais pour cela démonter les sièges et les mettre à la cave, payer l’essence. J’ai vite remarqué que les collègues étaient fâchés contre moi après, ne me disant pas ou plus bonjour à la cantine et ne m’invitant pas à leur pendaison de crémaillère dans l’appartement que j’avais aidé à emménager. Pourtant, franchement, je faisais cela tout simplement, content de rendre service, et hyper gentiment. J’ai compris que ces personnes se sentaient en dette, ne sachant comment « rendre » ce service (ce que je ne demandais pas), mais c’est la personen qui se sentait comme humiliée, comme peut se sentir humiliée une personne qui s’inscrit pour recevoir l’aide sociale. Il n’y a que les personnes très supérieures spirituellement qui peuvent prendre un service reçu sans le prendre comme un dû, ni le prendre comme créant une dette, ni le prendre comme humiliant. Simplement avec gratitude. C’est rare.

Alors faudrait-il arrêter d’aider à cause de cela ? C’est franchement la question que je me suis posée aussi après ces expériences répétées. Je n’ai pas arrêté pour autant, et je n’ai toujours pas arrêté. Mais comme pasteur, bien des personnes se disent que je suis payé pour rendre service, et elles se sentent moins en dette, je n’ai plus que très rarement l’occasion de sentir cela.

Ensuite, je suis donc devenu pasteur, avec un salaire de misère j’ai appris moi aussi à m’inscrire à l’aide sociale, à recevoir de l’aide de mes parents quand j’avais à payer le dentiste, ou à recevoir de la nourriture de paroissiens, et leurs vieux vêtements. De l’expérience avec le déménagement des collègues, et de la réflexion que cela m’a apporté, j’ai appris à recevoir avec une simple gratitude, sans me sentir humilié ni en dette. Sans non plus considérer qu’un coup de main avait valeur d’abonnement à être aidé (comme si le fait d’avoir donné une fois obligeait le donateur à continuer à donner encore et encore. Cela aussi est fréquent et me semble être comme un mécanisme de défense contre l’humiliation. Si je me sens humilié d’avoir été aidé, et que je me mets à imaginer que mon généreux donateur a le devoir de me donner ce qu’il me donne, c’est alors comme si c’était lui qui me devait, je peux dès lors sentir que moi je ne lui dois rien. C’est totalement aberrant, j’en conviens, mais dès le départ tout cela est aberrant à commencer par le fait d’en vouloir à celui qui nous aide.

Vous avez aidé une personne un moment, vous l’avez aidée une fois, plusieurs fois. Vous ne vous êtes jamais engagé à aider pour les siècles des siècles. Vous n’avez pas fait peser sur cette personne du « regardez comme je vous aide, vous me devez tout » (cela n’est pas votre style). C’est bon. Cette personne ne vous doit rien (c’est comme cela, un vrai service, c’est cadeau), et vous ne lui devez rien (manquerait plus que cela). Vous ne lui devez certainement pas d’aller au delà de vos forces. Ce ne serait pas bon pour vous, évidemment, ce ne serait pas bon pour d’autres personnes que vous pourrez aider plus tard. Et ce ne serait même pas bon du tout pour la personne pour qui vous vous seriez épuisé, car cela renforcerait encore son sentiment de dette.

Il vous faut simplement dire à la personne que vous avez aidée : que ce n’est pas à cause d’elle en quoi que ce soit, mais que vous ressentez de la fatigue, que vous vous connaissez bien vous-même et que vous avez besoin de vous isoler pour un temps, et que vous priez cette personne de ne pas vous contacter, que vous le ferez si vous êtes plus en forme. Le reste appartient à cette personne, d’avoir de la gratitude ou de l’amertume, ou de passer. C’est à elle et c’est pour elle qu’elle doit le faire, s’abîmer ou s’embellir. En attendant, ce que vous avez déjà apporté a fait son œuvre. Ce monsieur a eu, pour une fois, une belle relation. Il pourrait grâce à cela reprendre un peu de courage. Et que ce manque, nécessairement douloureux c’est vrai, soit pour lui une chance d’aller un peu plus vers les autres. Et s’il n’y arrivait pas, ce ne serait pas de votre faute. Vous avez fait ce que vous avez pu. Déjà. De toute façon, comme vous le dites, ce serait continuer à contre cœur, par pitié pour lui, là, oui, cela pourrait être blessant, bien plus en profondeur que le seul manque de cette belle relation qui se termine parce que vous n’en pouvez plu. Ou que vous avez d’autres personnes à aider, cela arrive aussi.

Dans ce domaine, il faut, je pense, de la simplicité. On fait ce que l’on peut. Et oui, il est juste et bon AUSSI de s’écouter soi-même, parce que pour aider les autres il faut être un petit peu en forme, le faire d’assez bon cœur. Dans le « aime ton prochain comme toi même » de Jésus il y a aussi « aime toi toi-même ». Vous allez me dire que Jésus donne sa vie ? Mais il s’est longtemps caché, il s’est enfui, il a esquivé pour se protéger pendant des années. Il n’aurait rien construit de durable s’il s’était laissé tuer au bout de 8 jours de ministère public. Ensuite, quand il va jusqu’à donner sa vie : c’est parce qu’alors il ne pouvait plus faire autrement sans trahir sa mission, et parce que cela avait du sens. Ce peut être le cas pour certains pompiers, ou secouristes en mer ou en haute montagne, mais en général, il me semble bien de se garder en forme dans le service et pour le service.

Dieu donne de la force et du courage à Gédéon, puis il lui dit : « Va avec la force que tu as ! » (Juges 6:14), Dieu ne nous dit pas d’aller avec la force que nous n’avons pas.

Dieu vous bénit et vous accompagne

.

par : Marc Pernot, pasteur à Genève

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2 Commentaires

  1. Elisabeth Di Zuzio dit :

    Quelle belle réponse ! Il est tellement difficile pour nous de recevoir de l’aide gratuitement…
    Je connais quelques pistes qu’on peut employer pour que la relation ne pourrisse pas. Mais ces pistes supposent qu’on n’est pas encore épuisé !
    – On peut expliquer à l’aidé pourquoi on lui rend service, et quelle satisfaction cela nous apporte aussi.( En offrant gratuitement les compétences que j’ai acquise pendant ma vie professionnelle; cela me fait du bien de les offrir à nouveau en tant que retraitée.)
    – Parfois, on peut proposer à la personne aidée de « rendre » en offrant elle aussi un service, ou un don en argent,
    – Parfois, si la relation est suffisamment profonde, j’ai pu exprimer une conviction qui est en général bien reçue : dans la vie, on reçoit de l’aide, et on en donne. Mais ce n’est le plus souvent pas immédiatement réciproque. La personne aidée se souvient d’avoir elle même apporté aide et soutien à son entourage…et maintenant c’est elle qui reçoit du soutien. Elle aura l’occasion de « rendre » ce service, ou un autre, à une personne de sa connaissance. Moi qui aide je reçois aussi de l’aide dans les périodes difficiles de ma vie. Evidemment la nature de l’aide reçue et offerte varie, selon les circonstances de la vie de chacun.
    .- Il me semble que la parabole du « bon Samaritain » parle de ces échanges non immédiatement réciproques. Le blessé au bord de la route a reçu l’aide gratuite du Samaritain; et il est encouragé à faire de même à l’avenir avec les blessés qu’il ne manquera pas de rencontrer dans sa vie, ses « prochains ».

    1. Marc Pernot dit :

      Merci pour l’encouragement !
      Et bravo de chercher des pistes pour soulager la dette de celui que l’on aide. J’éviterais de parler de « rendre » car c’est encore persister dans cette logique de la dette.
      Oui pour accepter un cadeau si la personne le fait spontanément, et si elle demande qu’est-ce qu’elle peut offrir, vous pouvez répondre que de la voir heureuse est déjà le plus beau des cadeaux car du coup on se sent utile.
      Bravo pour la 3e piste de la gratitude pour l’aide déjà reçue et que la personen a pu apporter d’autre, et qu’elle pourra donner (plutôt que rendre) à d’autres personnes plus tard, à l’occasion.
      La parabole du « Bon samaritain » est excellente (Luc 10)
      Bien amicalement

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